Toute plume qui a déjà assisté à une séance du Parlement européen et observé les interprètes transmettre aussi fidèlement que possible, dans toutes les langues officielles et en temps réel, les interventions orales des députés, se posera avec nous la question : comment écrit-on à l’échelle européenne ? Tel était le thème de ce quatrième café confiné, à la veille du 9 mai, 70 ème anniversaire de la Déclaration Schuman et fête de l’Europe.
« Unis dans la diversité », telle est la devise, ambitieuse, de l’UE. Les plumes européennes la prennent au mot : à quelles conditions un commissaire ou un député européen peut-il espérer être entendu d’un auditoire composé de 27 pays désormais, dont la culture politique, les références historiques et littéraires, les préoccupations au niveau national, sont aussi différentes ?
Geoffrey Mamdani, plume de Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence, et vice-présidente de la Commission, et Stephan Burklin, associé chez Brunswick à Munich, nous ont apporté leurs analyses éclairantes sur la façon de répondre à ce défi.
Premier constat tiré de la crise du coronavirus, la communication européenne est possible à condition de faire le lien avec la vie des gens:la liberté d’aller et venir ou le numérique par exemple en ce moment. La technicité du discours ne rebute pas nécessairement des populations avides d’informations et disposant de plus de temps pour écouter des réponses techniques : la réception des discours d’Angela Merkel par les Allemands en témoigne.
Deuxième constat, la façon dont l’orateur bâtit sa crédibilité à travers son discours est fortement ancrée dans la culture. Les différences entre l’Europe et les Etats-Unis sont révélatrices, comme l’a finement observé Stephan Burklin : quand Bill Gates, tout milliardaire qu’il est, débutera son discours par une référence à la série Game of Thrones, car en toile de fond demeure l’idée qu’«all men are created equal », l’orateur en Allemagne optera pour un écrivain faisant autorité, tel le prix Nobel de Littérature Hermann Hesse. La façon d’écrire le discours est intiment liée à la culture du pays, et la grammaire même de la langue n’est pas neutre. Il devient plus nécessaire de s’écouter quand les verbes sont placés à la fin des phrases, comme en allemand, tandis que la passion du débat peut se donner libre cours dès les premiers mots de l’orateur en français !
L’Union européenne en est-elle alors réduite à s’adresser à chacun séparément, ou à se réfugier dans des détails techniques, faute de vision commune ? Tel semble bien l’enjeu en l’absence d’un « espace public européen »: aller au-delà du discours technocratique et prendre de la hauteur pour transmettre une vision qui parle à tous, en se projetant vers des enjeux simples et fondamentaux de la vie quotidienne.