Dans un monde bien fait, chaque profession aurait son film ou sa série, qui présenterait une version idéale de son activité. Après tout, nous avons appris, avec Six feet under que même le métier de croquemort a sa noblesse. Il est sans doute réconfortant de se savoir appartenir à une confrérie valeureuse, participant à la mythologie de notre époque.
Qu’en est-il donc des « plumes » ?
Il me semble que nos professions, dans leurs diversité, pourraient se fédérer autour d’une œuvre qui célèbre ce qui les unit : la rhétorique.
Je propose à cet effet un film que tout le monde a vu, un classique, feelgood movie par excellence : Quatre mariages et un enterrement.
Comédie sentimentale certes, mais pas au point de nous empêcher de voir qu’elle aurait pu aussi bien s’appeler « quatre mariages, un enterrement : cinq discours».
Et comme chacun de ces discours contient une leçon sur l’art oratoire, je vous propose de les revisiter ensemble (spoiler alert : que ceux qui ne connaissent pas ce film se dépêchent de le voir et reviennent finir cet article ensuite).
Premier mariage : le discours de séduction
Charles (Hugh Grant), garçon d’honneur d’un couple d’amis, a le privilège redoutable de prendre la parole devant les convives de la noce. Distrait, gaffeur mais plein d’esprit, il fait un discours qui lui ressemble. Il flirte avec les limites de la bienséance mais sait jusqu’où il peut ne pas aller et s’il est moqueur, c’est avant tout envers lui même.
Première leçon : l’humour comporte une prise de risque mais permet aussi de rafler la mise puisque Charles, grâce à son discours, va séduire Carrie, la plus belle fille de la soirée.
Deuxième mariage : le discours embarrassant
Cette fois-ci, le garçon d’honneur est Tom, benêt sympathique qui d’évidence a pris Charles pour modèle. Tom tente lui aussi l’humour et échoue misérablement, provoquant d’abord quelques rires stupéfaits puis un grand silence gêné. A noter que le mot « malaisant » n’existait pas encore en 1994, date du film. Il n’apparaitrait qu’en 1995 selon les lexicographes. Est-ce un hasard ?
Deuxième leçon : n’est pas Hugh Grant qui veut.
Troisième mariage : le discours du politique
Il est prononcé par Hamish, riche politicien écossais et nouvel époux de Carrie. On en retiendra qu’il est plein de clichés, autocentré, ennuyeux, coupé de la réalité (un drame est en train de se produire et il ne le voit pas). Le discours et le personnage du politique sont ainsi constitués en anti modèle.
Troisième leçon : la politique a un sérieux problème d’image que le film explique, en caricaturant à peine. À nous les plumes d’en tenir compte et de remonter la pente.
L’enterrement : le discours de l’émotion (et l’art de la citation)
Matthew prononce l’éloge funèbre de Gareth, son compagnon. Dans ce genre d’occasions qui demande plus que toutes autres de la délicatesse, il choisit de s’effacer en utilisant des citations : citations de ceux qui ont connu le défunt et citation d’un poème de W.H. Auden pour décrire ses propres sentiments (et quel poème !). Il peut ainsi toucher son audience au cœur , sans renoncer à sa retenue naturelle ; il peut être éloquent, sans jamais se mettre en avant.
Encore une leçon, sans doute la plus magistrale.
Quatrième mariage : le discours de l’aveu
« Si quelqu’un s’oppose à cette union, qu’il parle maintenant ou se taise à jamais. »
Cette phrase possède une puissance dramatique à nulle autre pareille. C’est à cause ou plutôt grâce à elle que le quatrième mariage, entre Charles et Henrietta, n’a finalement pas lieu. En effet, coup de théâtre… le frère de Charles décide alors de révéler la vérité sur les sentiments du groom pour la bride.
Avant la cérémonie, Carrie avait pourtant rassuré Charles : tu verras c’est facile, il suffit de répondre « I do » aux questions que le prêtre te pose. Sauf que la question traditionnelle « souhaitez-vous prendre cette femme pour épouse ? » se transforme pour la circonstance en « aimez-vous une autre femme ? » et Charles, comme Carrie le lui a conseillé, n’a d’autre choix que d’avouer « I do ».
Dernière leçon : la sincérité a une puissance dévastatrice qui dans un premier temps se retourne contre Charles, mis KO au beau milieu de l’église par sa fiancée bafouée.
Mais ce n’est pas le mot de la fin. En avouant sa faiblesse, son mensonge, sa faute, il est possible d’accéder à une dimension supérieure, celle de la rédemption… et éventuellement à un happy end.
La vie n’est pas du cinéma et le happy end n’y est pas garanti. En revanche, la puissance de l’aveu est bien réelle. C’est un coup de tonnerre, qui laisse l’assemblée qui le reçoit sans voix, comme étourdie, ébranlée dans ses certitudes.
Sur la page blanche que dévoile l’aveu, un nouveau discours peut être écrit.
Il me reste à parler de la leçon de cinéma promise dans le titre de l’article.
Pourquoi, après vingt cinq ans ce film a-t-il gardé toute sa fraicheur ?
Il y a bien sûr la grâce de ses acteurs et actrices. Il y a surtout l’intelligence de son scénario.
Toutes ces leçons sur la façon de réussir un discours, en y mettant humour, empathie, humilité, sincérité, s’appliquent aussi à l’histoire minutieusement concoctée par le talentueux scénariste Richard Curtis. Car à cette recette, il manque encore un ingrédient, que je n’ai pas cité mais qui bien sûr est le plus important : l’écriture.