Jusqu’à il y a quelques mois, le zoom évoquait la photo. Plus le portrait ou l’insecte que le paysage de rêve, bien sûr. Mais la possibilité d’apporter une attention aux détails. On pouvait donc avoir un a priori plutôt positif en se connectant à Zoom, souvent pour la première fois, il y a environ un an.
Il y avait une promesse dans ce nom. Une promesse de se voir, malgré tout. Une promesse de pouvoir conjurer l’éloignement généralisé en se rapprochant ponctuellement les uns des autres. Une promesse d’agrandissement de nos vies confinées.
Quand XIII n’était pas encore devenue une version vaguement plus présentable de SAS, mais regardait plutôt du côté du cinéma indé US des années 70 sur fond de période Kennedy-Nixon et de technologies d’avant Steve Jobs, la photo y avait un rôle central. Deux scènes cruciales des premiers épisodes doivent ainsi tout à un objet aujourd’hui oublié, mais encore plus poétique que le zoom : l’agrandisseur. Agrandisseur qui permettait de révéler, sur une vidéo de foule, l’identité de l’assassin du Président -même si c’est un peu plus compliqué que ça, mais c’est une autre histoire- et, plus tard, sur une photo de paysage, le refuge du héros à la recherche de son identité.
Voilà ce que pouvait promettre un nom plus aguicheur que Teams, GoogleMeet et autres WebEx : que nos communications ne se réduisent pas aux mails, et qu’on puisse se voir, se parler, et garder l’attention nécessaire aux détails.
Pourtant, on aurait dû se méfier. Un zoom, ça permet de voir de loin, certes. Mais est-ce que ça permet de bien voir ? Pour Capa, on le rappelle, « si une photo est ratée, c’est que vous n’étiez pas assez prêt ». Certes, il est mort de s’être trop approché, ce qui tend à prouver que le zoom a quand même une utilité certaine. Mais du coup on voit de plus loin, et on perd en détail.
Désormais, plus de doute, la messe est dite. Après un an d’usage intensif, le mot évoque tout sauf l’attention aux détails. Le Zoom a envahi nos vies. Non pas comme un téléobjectif de paparazzi, ce qui aurait voulu dire qu’on avait des vies animées, à défaut d’être vraiment intéressantes. Plutôt comme une espèce d’aspartame de sociabilité numérique en temps confiné. Et les arrières plans sortis d’un travail raté d’arts plastiques de 4e finissent d’achever toute connexion possible avec l’univers de la photo. Car Zoom permet de voir des détails, certes, mais pas les bons.
C’est tout le paradoxe : on voit désormais plus que nécessaire l’intimité des gens -la litière du chat, l’aquarelle du grand père, le linge qui sèche, …- mais plus ce qui est vraiment nécessaire. Avec Zoom ou ces succédanés, plus de discussions informelles, de regards silencieux mais lourds de sens, d’apartés. Plus de matérialité des interlocuteurs, plus de lien social.
Un enfer pour les étudiants, réduits à des apprenants à distance, sans tout le sel de la vie universitaire. Un calvaire pour leurs enseignants, qui tentent par tous les moyens de « lire » l’attention, la perplexité ou l’ennui profond dans des vignettes anonymes. Un supplice pour les élus, militants, politiques ou associatifs, dont la vocation est de traduire les besoins qu’ils voient sur le terrain, ce qu’ils entendent, ce qu’ils sentent. Un purgatoire, qu’on espère temporaire, pour les plumes : nous avons ce même besoin de signaux faibles, d’échanges informels, de mots « vécus », d’immersion. Sans parler du vide que cela laisse dans nos vies amicales, amoureuses, affectives, familiales, …
Nous avons tous vécu l’expérience de « se faire un zoom » avec des proches, comme on se faisait avant, et selon ses goûts personnels, un ciné, un resto ou un plan à trois. Sauf que sur Zoom on ne fait rien de tout ça, ou alors ça n’a pas le même goût. Pas même un apéro, parce qu’en vrai, un observateur extérieur se rendrait vite compte que chacun boit tout seul, ou presque. Zoom est ainsi devenu le synonyme d’un SOS amitié planétaire et pixellisé. Bref, une image de très près de nos vies confinées, mais prise de très loin, et avec un mauvais matériel, donc peu flatteuse.
Que souhaiter pour 2021 -et après ? Pas de se débarrasser définitivement du zoom, car il pourra toujours servir de temps à autres. Mais varier les plaisirs et les focales. Retrouver les joies du grand angle, quand on veut embrasser davantage qu’un sujet ou un thème. Jouer sur la profondeur de champ, sur la lumière, sur le cadrage, et non pas uniquement sur la distance. Retrouver le « jeu », comme l’écrivait joliment Martin Dumont dans un texte où il regrettait la disparition de tout hasard de nos vies.
Car la vie sur Zoom, c’est une vie sans hasard. Une vie où on entre avec un numéro de réunion et un code secret. Et ça ne fait vraiment pas envie.