De ma première discussion avec Violaine, j’avais retenu deux choses : qu’elle ne croyait pas au progrès, et que son premier boss comme plume ne voulait des discours -ou des papiers- que sous forme de haïku. Lorsque notre Présidente nous a demandé de faire nos portraits croisés, je pensais donc avoir au moins deux fils à tirer. Mais nos échanges suivants ont d’avantage porté sur la fidélité à la tradition -oratoire, s’entend, le reste n’étant pas notre sujet- et sur les mots comme terrain de jeu que sur les haïkus. Quoique…
Lire avant d’écrire
Qu’est ce qui pousse une étudiante en philo à écrire des discours, en parallèle de ses études ? Est-ce sa thèse sur la rhétorique qui nourrit son écriture «professionnelle », ou l’inverse ? Quel lien entre enseignement et accompagnement d’orateur ou d’auteur à la recherche du « mot juste » ?
Pour Violaine, la lecture précède l’écriture. Avant de mettre pour les autres des mots sur le présent et l’avenir, elle a « dialogué avec les anciens », comme elle le dit joliment. Avant d’écrire avec ou pour quelqu’un, elle suggère des lectures. Entre deux discours ou articles techniques, elle s’aère par la littérature. Mais l’écriture sait se libérer de ces lectures. Elle connaît trop les pièges de l’écriture « savante », des articles scientifiques illisibles faute d’avoir été pensés pour le lecteur, de ces interventions brillantes sur le fond mais incompréhensibles faute d’avoir été écrites pour être lues, et surtout écoutées. La Bruyère écrivait qu’ « il est bon d’être philosophe, il n’est guère utile de passer pour tel ». Violaine l’a bien compris -d’ailleurs ce n’est pas elle qui le cite pour faire faussement chic, c’est moi.
Distance et vision de long terme
L’autre question qui se pose, c’est depuis où on écrit. Depuis quel endroit -Violaine est depuis quelques temps « exilée » à 1h20 de Paris, « moins loin qu’Orléans, mais c’est plus long en train »-, et surtout depuis quelle époque. Elle concède, presque en s’excusant, ne « pas être sûre de croire au progrès ».
Cette circonspection face à ce qui se présente comme nouveau, c’est d’abord de sa part une vision de très long terme de la parole. Les mots qui nous paraissent neufs ne le sont pas, déjà vidés de leur sens. Les passions qui animent les discours sont les mêmes depuis des siècles. Et le mot juste, ce n’est pas toujours celui à la mode, mais celui qui permettra d’exprimer pleinement l’idée de celui ou celle qu’elle accompagne. Avec sérieux, mais sans esprit de sérieux.
Les mots comme terrain de jeu
Car pour Violaine, les mots restent surtout un terrain de jeu : accompagner l’écriture du livre du fondateur d’une start up, écrire le discours d’un élu local ou définir l’univers de sens d’un cabinet d’architecte, c’est toujours à la fois une partie de ping pong et une chasse au trésor, dans lesquelles elle entre sans enjeu personnel, plus comme sparring partner de son client que comme compétitrice elle-même.
Si elle y met beaucoup d’elle-même -du temps, des réflexions et des références- elle garde ses opinions pour elle, consciente que l’exercice peut déjà être suffisamment douloureux pour celui qui écrit ou qui parle pour ne pas le polluer avec ses propres interrogations. Convaincue, aussi, au fond, que donner à tous l’accès aux mots, c’est éviter les paroles frustrées, qui faute d’exister par les idées se manifesteraient par la violence. Elle l’a mieux écrit que moi dans sa thèse, et je ne suis pas certain de partager cette conviction ni cette ambition, mais elles sont en complète cohérence avec sa vision du métier de plume : mettre des mots sur les idées.
Plus qu’un haïku, Violaine est donc un violoncelle : en dessous de l’instrument star, à qui elle vole très rarement la vedette -même s’il existe de magnifiques suites pour violoncelle, et beaucoup moins pour alto- mais à qui elle donne la profondeur et la gravité nécessaire pour ne pas paraître trop superficiel.