Une journée chez les plumes
Par Yaël Cohen
Vendredi 2 décembre 2022, 9 heures, quartier Saint-Lazare à Paris. Je sors du métro. Le ciel est bas et plutôt gris. Il fait froid. La rue est encore embuée comme moi. Je me rends à l’ISCOM où se déroulera toute la journée, la conférence d’automne de La Guilde des Plumes. Une personne me bouscule sans s’excuser. Je ne réagis pas. La rue grouille de son bruit matinal. Les klaxons des embouteillages parisiens finissent par me réveiller et me mettent dans le rythme. Je suis enchantée d’assister à cette conférence et de me mélanger à d’autres plumes même si parfois j’ai quelques complexes à me confronter à des « plumes politiques », moi qui ne raconte que des histoires !
Accueillie par les organisateurs chaleureusement, c’est avec plaisir que je revois mes collègues. Sourires, embrassades, prise de nouvelles, papotage autour d’un café, tout se met en place pour faire grandir ma bonne humeur. Je suis cette fois bien réveillée. Je suis entourée de plumes alors, la légèreté ne peut que prendre le dessus.
Anne Pédron-Moinard notre présidente et les membres du Conseil d’Administration ouvrent la session en équipe et, nous présentent le déroulé de la journée.
Sans être exhaustive et avec ma propre sensibilité de plume-biographe, je suis allée chercher dans toutes ces interventions, les mots que j’avais envie d’entendre pour me rassurer quant à ma manière d’exercer mon métier. Alors un peu en vrac, comme me sont revenus mes souvenirs, j’ai eu envie de vous relater ma journée, mes questionnements face à certains concepts ou mon enthousiasme pour d’autres.
Au cours de la première table ronde, Ingrid Leduc (vice-présidente de La Guilde des Plumes) a interrogé Jérémy Suissa (DG de l’ONG « Notre affaire à tous ») et Solène Thomas (plume de dirigeant.es) sur « Comment les mots peuvent créer un monde commun ? »
De cet échange ont émergé plusieurs problématiques propres à notre monde actuel où les mots deviennent de véritables enjeux de pouvoir. En effet, comment faire passer un message que tout le monde va comprendre, sans effet d’exclusion ? Peut-on d’ailleurs s’adresser à tout le monde ? Ou bien ne vaut-il pas mieux n’interpeller que certaines cibles ? Toutefois, le risque en voulant parler à tout le monde n’aboutirait-il pas à de ne parler à personne, en simplifiant le message à l’extrême ? Quel but cherche-t-on, pour atteindre notre cible ? Et comment la choisir ? D’un point de vue plus méthodologique : comment se familiariser avec notre cible, son univers, ses contraintes pour employer son référentiel linguistique. Et finalement, la question que je me pose à chaque fois que je m’engage dans un nouveau projet d’écriture : comment faire résonner des mots qui ne m’appartiennent pas, pour persuader ceux qui ne les comprennent pas.
À ces interrogations, que chaque plume se posera à un moment ou un autre dans l’exercice de son métier, des débuts de réponses ont pu être apportés. Pour commencer et pour toucher sa cible, la plume doit essayer de se vider de toute approche personnelle. Et pour ceci, une interaction avec les commanditaires est indispensable. Dialoguer avec les personnes que nous avons en face de nous, écouter leurs mots, les tonalités qu’elles utilisent, décrypter leur langage. L’objectif est d’arriver à les retranscrire au plus proche de ce qu’elles sont ou du message qu’elles souhaitent faire passer. Le plus difficile dans cet exercice va être d’expliquer à notre client·e que pour convaincre et éviter les clivages, il est nécessaire de nuancer ses propos. Or aujourd’hui, la communication passe par les réseaux sociaux et leurs algorithmes adorent les contenus clivants et les punchlines.
Alors comment les mots peuvent créer un monde commun ?
Il existe de multiples outils que la plume pourra utiliser. Le storytelling, par exemple, reste un moyen efficace d’atteindre sa cible. Derrière cet outil, il y a souvent des enjeux d’émotion et d’image, car on retient mieux ce qu’on a ressenti. Et ceci est d’autant plus important, lorsque l’on souhaite se positionner sur des sujets comme l’écologie où la linguistique n’est pas encore prédéfinie. Alors, pour écrire un discours vivant, qui ne soit pas marketing, il faut trouver un lien et marteler les concepts pour les construire et les rendre communs. L’écriture inclusive fait aussi partie de ces outils afin de créer un monde commun par les mots, ce que nous reverrons également après dans l’atelier animé par Raphaël Hadad.
Le replay de cette séquence est disponible sur YouTube (vidéo ci-dessous).
Après une petite pause-café, c’est la plume un peu « people qui est en moi qui a pris le dessus. Tous les sens en éveil, j’ai ouvert grand mes yeux et mes oreilles pour écouter Sophie Wallon, ancienne conseillère discours d’Emmanuel Macron. J’adore écouter les parcours de «plumes», ils sont toujours atypiques. Chaque plume a sa propre méthode pour écrire et le plus souvent va rattacher ses mots à sa sensibilité et à son vécu. Sophie Wallon nous a confié que sa première passion avait été la danse qu’elle a pratiquée depuis petite, à un haut niveau. C’est en étudiant la philosophie à l’École Normale Supérieure que les mots viennent la bousculer. N’ayant pas spécialement de formation politique, elle devient un peu par hasard la plume du Président Macron, lors de son premier quinquennat. Son rôle de conseillère discours est multiple, elle rédige bien sûr les discours du Président mais aussi tout ce qui a vocation à être publié. Pour être plume du Président, il faut écrire vite et bien, avoir le sens de la formule, et plus encore le sens de la période dans laquelle nous vivons. Pour mener à bien sa mission, elle collabore avec des conseillers techniques qui lui transmettent une première trame, qu’elle façonne avec ses mots. Puis une navette s’effectue avec le Président. Pour rédiger, Sophie Wallon travaille avec ses sens en recherchant une musicalité. Ancienne danseuse, elle a gardé ce rapport au corps et le sens du mouvement. Pour donner du rythme à ses textes, elle s’attache surtout à la tonalité et à la scansion. Le média Entourages a réalisé son portrait dans la foulée de la conférence, vous pouvez le retrouver ici.
Après cette matinée bien pleine, nous avons déjeuné tous ensemble dans une brasserie à proximité, dans un joyeux brouhaha. Ces moments de proximité et de partage sont précieux, car le métier de plume est assez solitaire. Puis la conférence s’est poursuivie, sous forme d’ateliers.
Pour ce premier atelier de l’après-midi, c’est avec curiosité que je pousse la porte de celui animé par Raphaël Hadad (fondateur de l’agence “Mots-clés”) sur l’écriture inclusive. Ma clientèle n’ayant pas d’exigences particulières en la matière, je ne me suis jamais vraiment posée la question de la manière dont j’allais l’intégrer dans mes textes. J’ai beaucoup apprécié l’approche très pédagogique de Raphaël Hadad. En préambule, ce dernier nous a rappelé que l’objet de l’écriture inclusive était de faire progresser l’égalité entre les hommes et les femmes et que nous sommes face à un véritable enjeu de société. Ceci est d’autant plus difficile à appréhender, que nous évoluons dans un monde genré et que le masculin générique est prédominant dans la langue française. Puis nous sommes entrés dans le vif du sujet avec des exemples concrets. Raphaël Hadad nous a expliqué comment féminiser les noms, faire un usage raisonné du point médian, utiliser les noms épicènes ou reformuler. Finalement, nous avons parlé de la créativité de la plume et de sa capacité à relever le défi de l’écriture inclusive en l’intégrant dans ses écrits.
Et pour clôturer la journée, j’ai décidé de mettre un peu de légèreté dans ma plume et d’assister à l’atelier animé par Violaine Ricard, sur le sujet savoureux des discours de mariage. Comment écrire un discours de mariage, en faisant plaisir aux mariés ? Attention danger ! L’exercice est périlleux, même pour une plume aguerrie. De tous les textes que je rédige, c’est sans doute celui qui me ravit le plus et qui en même temps me gêne le plus. En effet, il est si facile de faire un flop en croyant bien faire. Violaine Ricard, nous a donné un tas de trucs à faire et à ne pas faire avant d’organiser un exercice pratique. Je me suis prêtée au jeu avec plaisir et n’ai pas résisté à commencer mon discours en bonne conteuse romantique par « il était une fois… ».
18 heures, la conférence se termine, c’est avec un sourire satisfait et un petit pincement au cœur que je quitte mes collègues. La journée était captivante et très enrichissante. Merci à Guilde des Plumes d’organiser de tels événements au cours desquels nous pouvons échanger et comparer nos pratiques professionnelles. À bientôt.
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Avancer sans certitudes… et bien le vivre !
Par Léon Luchart
Des certitudes, j’en avais peu en arrivant le vendredi 2 décembre 2022 à l’ISCOM, sur les coups de 9 heures. Je savais, tout au plus, que j’aimais écrire. Et que les membres de la Guilde étaient accueillants. Je me présentais, en somme, comme à l’apéritif parisien de l’été 2022 : étudiant, modeste aspirant-plume, la tête pleine d’interrogations.
Soyons directs : j’ai été fasciné de constater que tout le monde partageait cette passion des mots, et se réjouissait de pouvoir jeter collectivement sur celle-ci un regard réflexif. J’ai aimé suivre la logique de ces avis nuancés, nourris de longues méditations personnelles, et enrichis par les remarques attentives de l’assistance, malgré les divergences politiques. Le contrepoint réalisé au cours d’une table ronde par Jérémie Suissa et Solène Thomas m’a semblé harmonieux et pertinent. Le thème écologiste qui le traversait était percutant, tandis que l’analyse de LinkedIn me faisait découvrir l’importance d’un outil que je sous-estimais. Le replay de cette séquence est disponible sur YouTube (vidéo ci-dessous).
Vinrent ensuite les confidences de Sophie Walon sur les coulisses de son activité de conseillère discours à l’Élysée. J’étais alors très admiratif : la perspective de travailler pour le chef de l’État en ayant eu auparavant une fibre essentiellement philosophique et artistique me renvoyait à mon propre vécu de jeune normalien encore en quête de son avenir. Il fallait cependant s’en tenir là, et mettre fin à la première moitié de cette journée – mention spéciale pour mon voisin du déjeuner, professeur de marketing et communication à l’ISCOM, avec qui j’ai pu avoir une discussion aussi édifiante qu’inattendue.
Puis ce furent les ateliers. Je me suis laissé tenter par celui de Benoît Joxe. Je ne l’ai pas regretté : l’approche était concrète et détaillée, et le visionnage de quelques discours, célèbres pour leur originalité, m’a séduit. Oui, je ressortais convaincu que je pourrais, à l’avenir, rester fidèle à ma fibre littéraire, même dans des contextes appelant au pragmatisme. Avec Anne Pédron-Moinard, nous avons envisagé ensuite, là aussi très concrètement, les différentes manières de se lancer en tant que plume indépendante. En sortant, je n’avais qu’une envie : m’inscrire sur Malt et me mettre au travail.
Je ne m’en suis pas caché au moment de prendre la direction du bar, une fois prononcé l’émouvant mot de notre présidente : j’avais du mal à assimiler tout ce que j’avais entendu au cours de cette journée (surtout quand la novlangue des start-ups faisait irruption, même si, apparemment, personne ne sait vraiment à quoi elle sert). Mais dans les jours qui ont suivi, j’ai pris conscience d’une donnée qui me semble importante : le métier de plume demande d’accepter une certaine instabilité, que ce soit dans le statut mais aussi plus largement sur un plan intellectuel. Je crois qu’il faut sans cesse s’adapter à des domaines inconnus, apprendre à se plier à des contraintes extérieures délicates – et se retrouver parfois sans inspiration, même face à un sujet que l’on pense maîtriser. Au fond, je ne sais pas grand-chose de mon futur champ de spécialisation, ni même du moment où plume sera mon métier. Mais visiblement, l’incertitude fait partie du parcours, et je finis par trouver cette idée stimulante. Après tout, j’aime écrire, et mettre à l’épreuve mon usage des mots. Alors je reste sur cette intuition, et on verra pour le reste après, non ?