Oui, Barack Obama a fait beaucoup de bons et de très bons discours, mais attention, celui-ci est différent.
Cette différence tient dans ce qui se passe juste après qu’il en ait prononcé les derniers mots.
Je vous dis quoi dans un instant, d’abord, plantons le décor.
Ce discours date de juin 2015 au lendemain d’une de ces tueries de masse dont les États-Unis ont la triste coutume.
Les neuf victimes, membres d’une église méthodiste de Charleston – Caroline du Sud, sont toutes noires.
Elles ont été massacrées par un suprémaciste blanc de vingt et un ans.
Interrogé par la suite sur ses motivations, il a déclaré espérer déclencher une guerre raciale.
C’est dans une enceinte sportive transformée en église que Barack Obama prononce l’eulogie de l’une des victimes, le pasteur Clementa Pickney.
En prenant la parole dans cette assemblée, le POTUS est à la croisée d’au moins trois genres rhétoriques
+ éloge funèbre
+ prêche religieux
+ plaidoirie politique
Ses paroles doivent
+ évoquer un disparu et apaiser la douleur d’une famille endeuillée,
+ le positionner une nouvelle fois sur le terrain glissant de la question raciale,
+ le présenter comme un noir parmi les siens, et aussi le Président de tous les Américains.
Tout cela, Barack Obama sait le faire magnifiquement.
Pendant 40 minutes, le Président évoque la figure du pasteur, des autres victimes et les inscrit dans l’histoire de ce pays, histoire d’espoir et de violence, de foi et de sang.
Il est accompagné par un public de fidèles, au sens liturgique du mot. Ceux-ci approuvent et scandent ses paroles. Et le discours devient sermon.
Son thème est la grâce : la grâce de l’ouverture des esprits et des cœurs. Une grâce qui va même amener les familles des victimes à accueillir l’assassin avec des mots de pardon.
Une grâce étonnante, concède-t-il, comme s’il la découvrait avec nous : 𝑎𝑚𝑎𝑧𝑖𝑛𝑔 𝑔𝑟𝑎𝑐𝑒.
Mais au lieu de conclure, il s’arrête.
De longues secondes s’écoulent, le public attend.
Et alors se produit une chose inédite : le président des États-Unis se met à chanter
Il entonne à capella ce fameux cantique du temps de l’esclavage : 𝐴𝑚𝑎𝑧𝑖𝑛𝑔 𝑔𝑟𝑎𝑐𝑒.
Les visages autour de lui s’éclairent, la ferveur est palpable, tout le monde se lève et chante avec lui.
𝐴𝑚𝑎𝑧𝑖𝑛𝑔 𝑔𝑟𝑎𝑐𝑒 ℎ𝑜𝑤 𝑠𝑤𝑒𝑒𝑡 𝑡ℎ𝑒 𝑠𝑜𝑢𝑛𝑑
𝑇ℎ𝑎𝑡 𝑠𝑎𝑣𝑒𝑑 𝑎 𝑤𝑟𝑒𝑡𝑐ℎ 𝑙𝑖𝑘𝑒 𝑚𝑒
𝐼 𝑜𝑛𝑐𝑒 𝑤𝑎𝑠 𝑙𝑜𝑠𝑡, 𝑏𝑢𝑡 𝑛𝑜𝑤 𝐼’𝑚 𝑓𝑜𝑢𝑛𝑑
𝑊𝑎𝑠 𝑏𝑙𝑖𝑛𝑑 𝑏𝑢𝑡 𝑛𝑜𝑤 𝐼 𝑠𝑒𝑒
[La grâce étonnante, quel doux son
Qui a sauvé un misérable comme moi
J’étais perdu, mais maintenant je suis retrouvé
J’étais aveugle mais maintenant je vois]
Un discours peut-il atteindre l’émotion contenue dans une vieille chanson ?
Ne manquez pas ce pur moment d’éloquence, où la parole devient musique, la communication devient communion et où, peut-être, la grâce s’entraperçoit.