Quand le général de Gaulle utilisait l’écriture inclusive avant tout le monde
Le tout premier discours télévisé prononcé par le général de Gaulle le 27 juin 1958 aurait pu passer inaperçu. Moins célèbre que son appel du 18 juin 1940 ou que le discours d’Alger, il a pourtant marqué les esprits, en partie pour sa conclusion peu conventionnelle.
Alors que jusqu’à présent le Général s’était toujours adressé aux « Français », il décide de clore son discours télévisé par ces mots : « Il faisait bien sombre hier. Ce soir, il y a de la lumière. Françaises, Français, aidez-moi ». Les commentateurs de l’époque s’en émeuvent : Mais pourquoi diable vouloir s’adresser spécifiquement aux Françaises ? « Français » suffirait très bien.
Seulement voilà, le général de Gaulle ne semble pas l’entendre de cette oreille. Ou plutôt, dans son oreille siffle une autre musique, celle du suffrage universel direct. Et pour que les femmes votent pour lui, encore faudrait-il qu’elles se sentent impliquées. C’est la règle numéro un de toute plume : penser à l’auditoire, écrire pour l’auditoire et rien que pour l’auditoire.
Pas fou, le Général se dit donc qu’il faut modifier sa péroraison. Et il a bien raison. Des années plus tard, les études du psycholinguiste Pascal Gygax* et du professeur Markus Brauer*, démontreront que les doubles flexions comme « Françaises, Français » suscitent jusqu’à deux fois plus de représentations mentales féminines que les formulations au masculin.*
Il semblerait donc que le général de Gaulle, loin d’être un précurseur de l’écriture inclusive, aurait surtout été un fin stratège. Il avait compris, bien avant d’autres, que le masculin n’est jamais neutre et que, pour s’adresser aux femmes, il fallait les nommer. Il fallait les rendre visibles pour qu’elles se sentent concernées.
Toutefois, le choix de mettre « Françaises » en premier est loin d’être anecdotique. Il n’est qu’un dérivatif du plus connu « Mesdames, Messieurs ». Et la galanterie, on le sait, relève parfois plus du sexisme déguisé que de la chevalerie.
Quant à la solution inverse, elle connaît un autre écueil : celui de l’effet « Adam et Eve ». L’homme vient en premier parce qu’il est plus important. Voilà. Et si vous ne vous êtes jamais demandé ce que signifiait le numéro 2 dans votre numéro de Sécurité Sociale, il est encore temps de le faire.
Depuis 2013, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes recommande d’avoir recours à l’ordre alphabétique. C’est arbitraire, certes, mais bien pratique.
Aujourd’hui, bien que « Françaises, Français » soit entré dans l’air du temps, la majorité des responsables politiques continue d’être réfractaire à l’écriture inclusive. Ils en font un enjeu de langage alors que c’est un enjeu de société. Ils y voient une menace alors que une opportunité : celle de faire réellement progresser l’égalité entre les femmes et les hommes.