« Ich bin ein Berliner »
Qui n’a jamais entendu cette fameuse punchline avant l’heure ? Et ses déclinaisons bien sûr, dans un passé proche, on pense à « Je suis Charlie » et tant d’autres.
Si les germanistes se gaussent encore parfois du jeu de mot involontaire qui laisse à penser que Kennedy revendique être un beignet berlinois (le Berliner), le contexte d’énonciation de cette phrase mérite d’être rappelé :
Un contexte tendu de guerre froide, et de ville partagée où depuis deux ans un mur a été érigé entre Berlin-Est et Berlin-Ouest, faisant de cette ville un symbole, concret, de la partition du monde.
Mais aussi un autre contexte plus « micro », intéressant pour comprendre comment se construit un grand discours :
Le 26 juin 1963, JFK est à Berlin-Ouest. Dans chaque ville allemande traversée les jours précédents, il se fait fort de placer quelques mots en langue allemande. Ici, dans un texte préparé, très travaillé dans son rythme, son style et son message, il a déjà sa phrase en allemand : pour ceux qui doutent ou qui ne comprennent pas, qu’ils viennent à Berlin : « Lasst sie nach Berlin kommen ».
Mais sans doute trouve-t-il que son engagement personnel n’est pas assez fort. La légende dit qu’il trouve alors l’inspiration de la phrase-clé juste avant de prononcer le discours : je suis tellement solidaire des Berlinois que je suis l’un d’eux, je suis un Berlinois, comme tout citoyen du monde libre !
Et pour la prononcer dans la langue de ses hôtes, c’est vers son interprète qu’il se tourne :
« J’écrivis les mots phonétiquement afin qu’il puisse les prononcer correctement : Ish bin ine bear-LEAN-ar » raconte son interprète d’alors, Robert Lochner.
Il prononce, parfaitement, la phrase dès le début du discours, après l’accroche (où il met en avant le général Clay, en temps de guerre, un général, ça rassure), car elle synthétise son message. Il prend d’ailleurs, chose étonnante, le temps de remercier au passage son interprète… (remerciements souvent coupés au montage).
Puis cette phrase, il la répète en tant que chute du discours, suscitant bien sûr des applaudissements nourris :
« Tous les hommes libres, où qu’ils vivent, sont des citoyens de Berlin. Par conséquent, en tant qu’homme libre, je suis fier de prononcer ces mots : Ich bin ein Berliner ! »
Moralité : ce qui marque dans un discours, ce ne sont pas forcément les grandes phrases littéraires dont on met des heures à accoucher. Parfois, c’est une phrase griffonnée à l’arrache sur un papier bleu qui reste dans l’histoire…