Le 23 février 2024, l’actrice Judith Godrèche fait face à la grande famille du cinéma français, réunie pour la 49ème cérémonie des César. Une soirée de cérémonie, une succession de grands messages. Des habitués des causes à défendre.
Elle se tient seule, devant tous ces fauteuils habités. Elle avance pour leur faire face et les regarde « les yeux dans les yeux ». C’est un moment spécial pour elle, qu’elle a dû répéter bien des fois devant son miroir. Elle est face à sa famille.
Elle, l’actrice « qui n’a rien connu d’autre que le cinéma », ayant commencé encore enfant.
Eux, ses pairs « qui l’ont vue grandir », témoins de son parcours et de son combat.
Il en faut du courage, pour affronter sa propre famille. Pour écorcher « l’image de nos pères idéalisés ». Pour dénoncer, comme elle s’apprête à le faire, les années de violences sexuelles subies par des réalisateurs reconnus et protégés. Les « mains dégueulasses », les années d’emprise.
L’actrice qu’elle est va puiser son courage dans son imaginaire d’enfant, elle « s’invente une petite berceuse » pour « se rassurer ». Et elle invoque un conte, une histoire que l’on raconte aux enfants depuis la nuit des temps : Le Petit Chaperon Rouge. « Ça serait déjà ça, dit le petit chaperon rouge… ». Doit-on y voir une métaphore de sa propre histoire ? « Merci de m’avoir donné la possibilité de mettre ma cape ce soir ». Qui nous parle ? La femme, ou l’enfant en elle, trompée par les adultes censés lui montrer le chemin…
Elle commence par une longue inspiration. Un silence. Il faut bien ça, avant d’entamer un discours qui fera date, seule face à la foule qui vous regarde et qui attend, silencieuse elle aussi.
« Je parle, je parle, mais je ne vous entends pas ». A qui appartient ce silence assourdissant ? Le silence, complice, de ceux qui voient, qui savent et qui se taisent. Le silence, péremptoire, demandé par le réalisateur sur le plateau. Celui, terrible, du prédateur qui baisse la voix et qui « chuchote ». Le silence, coupable, de la société qui ne veut pas voir. Notre silence.
Mais s’il l’a terrassée pendant « trente ans », cette fois les choses ont changé : elle n’est plus seule. Elle puise sa force dans la multitude des témoignages qui lui parviennent, dans la certitude de donner une voix à ses « sœurs » de combat. « Après tout moi aussi je suis une foule ». Une foule bien décidée à briser l’omerta.
« Le monde nous regarde ». Malaise, regards gênés, chuchotements. Il n’est pas aisé de laver son linge sale en famille. D’autres s’y sont essayées avant elle. Mais pour finir : une standing ovation, comme une approbation, un soutien total. La famille serait-elle prête à entendre ?
Avec son discours engagé, Judith Godrèche incarne bien plus qu’une actrice qui parle au monde du cinéma. C’est une mise en abîme de la société du spectacle qui devrait donner l’exemple. C’est toute la société qui la regarde et qui doit faire son introspection.
« Dire tout haut ce que nous savons tout bas ». Pour la soutenir et briser avec elle le silence, rappelons ces quelques chiffres :
o 16 % des français·e·s ont subi une maltraitance sexuelle dans leur enfance,
o dans 91 % des cas de violence sexuelle, les femmes connaissent leur agresseur,
o 200 000 femmes en moyenne sont victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint chaque année.[1]
Derrière chaque chiffre, une histoire. Derrière chaque histoire, un silence à briser.
Flora Djenadi pour La Guilde des Plumes