Le blog de la Guilde des Plumes

Le cercle des poètes disparus – Quand les mots nous transportent

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Il y aurait la « vraie » vie d’un côté, et la poésie de l’autre.

La réalité et les livres.
Avec un gouffre béant entre les deux.

C’est précisément à cette conception aseptisée de la poésie que s’oppose, dans une scène célèbre et par un discours aussi concis que captivant, le film « Le Cercle des Poètes disparus ».

👉La poésie comme éthique

États-Unis, 1959 : Un professeur de lettres, incarné par Robin Williams, débarque dans un lycée prestigieux.

Son enseignement de la poésie bouleverse tous les codes.
Il rejette les méthodes fondées sur le « par cœur » pour apprendre à ses élèves à développer leur propre sensibilité.

Car au lieu de se borner à transmettre un savoir, il se sert de la poésie pour communiquer un véritable système de valeurs, fondé sur l’esprit critique et le fait de vivre en cohérence avec ses aspirations les plus profondes.

Or, cette vision du monde subversive se révèle être en rupture totale avec la pédagogie traditionnelle du lycée, pour qui la réussite scolaire doit mener à des carrières toutes tracées.

👉Convaincre : la force de l’argumentation par antithèse

Le discours, mettant magistralement en lumière ce conflit de valeurs, intervient au tout début du film, ce qui permet de planter le décor.

Le personnage joué par Robin Williams utilise la technique de l’antithèse dialectique.
Il démonte brique par brique l’approche utilitariste de la poésie pour montrer que sa véritable finalité est d' »apprendre à penser par soi-même ».

En présentant la poésie comme une démarche éminemment personnelle, il peut ensuite développer son argument phare : la poésie nous parle de passion et d’émotions, éléments constitutifs de l’humanité.

La poésie est donc aussi réelle que tout autre domaine de la vie.
Et même, plus réelle : la beauté est par excellence le moyen d’accéder à ce qu’il y a de proprement humain en nous.

👉L’appel émotionnel, pour toucher l’audience et au-delà

Ce qui rend cette tirade particulièrement mémorable, c’est le passage de l’universel au particulier.

Ses propos sur l’humanité, au départ théoriques, se transforment tout à coup en un appel à l’action extrêmement personnel.

« Que le prodigieux spectacle continue et que tu peux y apporter ta rime. Quelle sera votre rime ? »

En s’appuyant sur l’empathie pour conclure son discours, il suscite l’émotion des personnages du film à qui il s’adresse, mais aussi des 7 millions de spectateurs en chair et en os qui sont allés voir le film à sa sortie, en 1989.

Et bien évidemment, il nous émeut, nous, spectateurs de 2024.

Comme si, par ce processus d’identification cathartique, le film nous prouve que son héros a raison : la poésie a un vrai pouvoir.

Celui de nous émouvoir.
Celui de nous faire rêver.
Celui de nous transformer.

Si l’on s’en tient au critère de Racine, pour qui « La principale règle est de plaire et de toucher », le film aura réussi son pari.

Lucrèce Branca pour La Guilde des Plumes