La communication publique est censée être un espace où l’on parle d’intérêt général sans tomber dans les clivages partisans. Mais que reste-t-il aujourd’hui de ce consensus ? Quels sujets peuvent encore être abordés sans provoquer une polémique immédiate ?
C’est un sentiment partagé par beaucoup de professionnel·les : ce terrain d’entente se rétrécit comme peau de chagrin. La sécurité routière ? Oui, mais pas les limitations de vitesse. La santé publique ? D’accord, mais évitons de parler vaccins. La qualité de l’air et de l’eau ? Attention, l’environnement est devenu un champ de bataille.
Ces tensions ont toujours existé, mais elles sont plus visibles et exacerbées aujourd’hui. Ce n’est pas la radicalité qui est nouvelle, c’est son emprise. Partout le fascime gagne du terrain. Les États-Unis, première puissance mondiale, sont dirigés par un fasciste, misogyne, raciste et climatonégationiste. La carte du commun n’y est pas redessinée, elle est attaquée à la tronçonneuse. Chaque sujet – santé, éducation, culture – y est traité comme une guerre de civilisation. C’est un choc immense, dont nous n’avons pas fini de sentir les répliques.
Dans ce contexte, la communication publique se heurte à un dilemme : éviter les sujets sensibles et ne plus rien dire, ou prendre le risque de heurter. L’ultra-prudence – cette variante de la langue de bois qui vide les mots de leur sens – n’est en rien une solution. C’est même un poison qui sape la confiance et affaiblit le débat démocratique.
Alors, que faire ?
Assumer que nos sujets sont politiques.
Accepter que toute prise de parole puisse déplaire.
Créer des espaces où le dialogue est possible, même entre visions divergentes.
Respecter les opinions, mais refuser que les faits soient manipulés ou que la démocratie soit attaquée.
C’est un équilibre délicat, mais indispensable.
Un rôle central pour les communicant·es
Les plumes et les communicant·es sont en première ligne. Leur rôle ne se limite pas à formuler des messages clairs et engageants : ils sont les gardiens du sens des mots et les passeurs d’idées. À l’heure où la désinformation se répand, où la liberté d’expression est invoquée pour justifier le mensonge ou la haine, leur responsabilité est grande.
Ils doivent aussi innover. La langue s’use, les discours perdent leur force quand ils sont répétés sans imagination. Renouveler les façons de dire, trouver des mots qui donnent à voir et à penser, qui interpellent : c’est là que réside leur mission.
Ce travail est un combat quotidien. Entre les trolls qui attaquent, ceux qui censurent et ceux qui détournent, entre l’indifférence des uns et l’hostilité des autres, il faut tenir bon. Ne pas céder à la peur, ne pas se résigner au silence.
Une responsabilité collective
Ne comptons pas sur les IA en boucles fermées ou les algorithmes cryptés pour porter cette parole publique. Ce sont des humains qui doivent écrire la suite.
Et cette responsabilité ne concerne pas que les professionnels de la communication. Toute personne soucieuse de l’intérêt général, du vivre-ensemble et de la démocratie joue un rôle dans un monde où la confusion et la manipulation menacent le débat public.
Finalement, nous sommes tous et toutes des communicant·es publiques.
Tribune initialement publiée dans le N° d’Avril 2025 de « BRIEF, le Magazine des communicants publics »