Les plumes le savent : pour bien écrire, rien ne vaut la fréquentation des grands auteurs. Proust est évidemment de ceux-là. Aussi les deux événements éditoriaux de cet automne 2019 ne pouvaient qu’attirer notre attention…
1919-2019 : cette année marque le centenaire du Prix Goncourt attribué à Marcel Proust pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs. C’est dans ce cadre que plusieurs lettres originales de l’auteur de La Recherchesont mises en vente le 7 octobre, tandis que les éditions De Fallois publient neuf nouvelles inédites.
Pour commencer par les lettres, elles donnent à voir un romancier talentueux, doublé d’un professionnel de la publicité, voire du buzz ! Ecrites entre 1913 et 1916, adressées à son ami le critique d’art René Blum, ces lettres témoignent d’une réelle soif de reconnaissance. Ainsi on ne sera pas surpris de voir Proust demander à son correspondant « que Monsieur Grasset publiât, à mes frais (moi payant l’édition et la publicité) un important ouvrage que j’ai terminé. » Comme le montrent ces échanges épistolaires, Proust sait s’appuyer sur un réseau d’amis pour se faire publier… et pour se signaler auprès des jurys de prix littéraires !
Quant aux nouvelles inédites, elles paraissent le 9 octobre aux éditions De Fallois, sous le titre Le mystérieux correspondant. Le choix d’un tel éditeur ne doit rien au hasard : grand proustien récemment disparu, Bernard de Fallois avait conservé les manuscrits de ces nouvelles au milieu de divers papiers ayant appartenu à Proust. Ecrites entre 22 et 27 ans, ces nouvelles traitent sans fard de l’homosexualité. Faut-il y voir la raison pour laquelle elles n’ont jamais été publiées ? Toujours est-il que vingt années plus tard, cette thématique de l’homosexualité traversera largement La Recherche du temps perdu. Que l’on songe à des titres comme « Sodome et Gomorrhe »…
Ces lettres et ces nouvelles, rédigées au tournant du siècle, en quoi intéressent-elles les plumes de 2019 ? Pour ce qui est des premières, on peut se rappeler cette pensée de Pascal – que Proust avait sans doute lu : « On s’attendait de voir un auteur, et on trouve un homme. » Au-delà de la statue de marbre, au-delà de l’écrivain consacré, célébré, au-delà de la place qui est faite à Proust tant par l’université que par le critique ou les manuels scolaires, les amateurs de mots que nous sommes ne boudent pas leur plaisir en entrevoyant quelques traits de personnalité – y compris quelques défauts ! – du grand écrivain.
Sur ce point cependant, Proust nous a bien mis en garde : son Contre Sainte-Beuvenous invite à nous méfier d’une certaine critique qui part trop souvent de la biographie, du caractère de l’écrivain pour expliquer son œuvre. Le moi social est à distinguer du moi profond de l’artiste, nous dit Proust. Lestées de ces précieux conseils, les plumes se feront un plaisir de lire les nouvelles inédites publiées chez De Fallois. Avec plusieurs questions à l’esprit : en quoi ces textes annoncent-ils l’œuvre à venir ? le fameux style de Proust est-il déjà en germe dans ces nouvelles ? Les thèmes sont-ils les mêmes, ou bien connaissent-ils quelques variations entre ces petits textes et le cycle de la Recherche ? En un mot, en quoi ces neuf nouvelles résonnent avec le reste de l’œuvre ?
Un dernier mot sur le style proustien… On connaît trop le fameux cliché, selon lequel Proust se résumerait à des phrases interminables. A ce compte-là, la plume d’aujourd’hui aurait tort de s’en inspirer, en ces années 2010 qui privilégient de plus en plus la forme brève. Rien de plus faux, cependant : souvent inspiré de Saint-Simon, le style de Proust se caractérise au contraire par une alternance entre périodes longues et phrases brèves, mais aussi par des descriptions prolongées que viennent rompre une formule ou un dialogue. L’ensemble évoque immanquablement ce drapé dont Quintilien nous disait, il y a près de 2000 ans, qu’il formait l’essence même de la rhétorique. Bien des années après son prix Goncourt, Proust peut encore inspirer les plumes d’aujourd’hui !