Les mots ne peuvent pas tout. Certains blessent, trébuchent tant ils sont essorés de leur sens alors que d’autres éclairent. À l’heure du confinement, les mots sont revenus à leur fonction première : créer du commun. Ils n’ont pas d’existence en-dehors de nous, mais ils sont plus ou moins bien servis. Et celles et ceux pour lesquels les mots sont un outil de travail s’interrogent, légitimement, sur leur rôle. Si la crise est, étymologiquement, un moment de tri, comment séparer le bon grain de l’ivraie dans le flux d’informations qui nous assaillent ?
Pour Montaigne, « la parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui écoute ». Ce qui ne laisse pas grand-chose pour celui qui écrit, à première vue. Les dirigeants politiques et chefs d’entreprise sont pourtant nombreux à faire appel à des « conseillers discours » souvent ramenés au rang de gratte-papier à la solde des puissants. L’éthéré de la « plume » ne dit rien de leurs compétences, ni leur souci de chercher la piste à creuser. Seulement leur attachement réel à ceux (et trop peu celles) qu’ils servent et qui veulent mettre en mots le cap, le récit et l’effet de leurs actions pour la société. Car en définitive, être plume, c’est à la fois parler et écouter ; avoir la parole entièrement, sans jamais la prendre pour soi.
Cette parole a besoin de mots pour traduire l’action. Mais les mots n’ont pas le même sens selon la fenêtre d’où on les prononce, ni celle d’où on les entend. L’espace public semble toujours plus polarisé, envahi de prises de paroles individuelles, laissant peu de place au doute.
Beaucoup agissent pourtant pour changer, à leur échelle, le monde dans lequel nous vivons : petites et moyennes entreprises, élus locaux, artisans, commerçants, enseignants, soignants, associations, solidarités locales… Les plumes veulent aussi se mettre au service de cette puissance-là, collective, pour les aider à raconter ce qu’ils font.
Faire en sorte que la prise de parole ne soit pas une confiscation mais une invitation, voilà ce à quoi travaillent quotidiennement les plumes. Ne pas imposer sa volonté aux autres par le discours mais ouvrir la voie à une dispute constructive, en s’appuyant sur une langue rigoureuse, adossée aux faits comme aux individus.
Que faire de tous les « monde d’avant » et « monde d’après », tous les « plus que jamais » et « jamais plus » qui saturent les prises de parole actuelles? Loin des réponses définitives et des proclamations, c’est en commençant par accepter l’incertitude que nous trouverons des réponses à ces questions. En lisant universitaires, journalistes, écrivains ou anonymes. En restant sensible à ce qui se fait et se dit ailleurs, à ce qui s’est fait et s’est dit avant, à ce qui pourrait se faire et se dire demain. Et de tout cela, écrire. Pour un collectif autant que pour celle ou celui qui l’incarne et qui, pris dans le feu de l’action, a d’abord besoin de la plume, ce médiateur, ce traducteur, pour marcher à ses côtés.