Comment articuler particulier et universel ? Toucher la grande histoire à partir de la petite ? Transmettre un témoignage sans le dénaturer ? Concilier authenticité et médiation ? Qu’est-ce que la vérité du récit ? Comment l’inclure dans un discours ? Telles sont les vastes questions autour desquelles nous nous sommes réunis vendredi 29 mai, dans les brumes matinales d’une fin de semaine déconfinée. Charge à chacun de secouer son moi mal réveillé pour le raccrocher au collectif d’une discussion bien animée. L’un et le multiple, ici aussi. Et une grande tasse de café – salvatrice – par-dessus le marché !
Pour en parler nous accueillions Héloïse Pierre, du podcast « Mamie dans les orties » et Christophe Chauvet, de l’association PaQ’la Lune. Tous deux ont courageusement accepté de se plier à l’exercice du café confiné, qu’ils en soient mille fois remerciés. Chacun a présenté sa façon de traiter le témoignage. Par le recueil sonore de confidences de grands-mères, pour Héloïse. Pour Christophe, par le traitement artistique, théâtralisé, de paroles de quartiers dans le secteur « politique de la ville » de Nantes Nord. L’une comme l’autre se heurte à la difficulté d’évoquer fidèlement une expérience personnelle tout en la rendant accessible à tous, ou en la mettant au service d’autre chose – un questionnement plus large, une percée dans l’imaginaire, une création. Pour Héloïse, les récits de vie bousculent parfois l’approche ordinaire de la grande histoire au risque de nuire à leur propre réception. Ils l’éclairent aussi souvent d’une lumière intime irremplaçable. Quant à Christophe, son travail s’adresse aux inaudibles, à ceux qui manquent de mots pour se faire entendre ou ont renoncé à parler désespérant d’être jamais entendus. Comment dire et faire dire en ce cas ? Comment faire ressortir la poésie du quotidien ? Et s’il fallait la chanter ? C’est ce que se propose de faire PaQ’la Lune avec son projet « Mon quartier, hier, aujourd’hui, demain ».
Pour les plumes, la difficulté réside dans la complexité du choix des mots. Car la parole publique émise d’un point de vue précis peut être diversement reçue, comme le montrent par exemple les nombreuses interprétations du célèbre discours du général de Gaulle prononcé en 1958 à Alger. Et il faut aussi que l’orateur s’y retrouve. Il est bon pour cela de s’attacher au sens des mots, savoir ce que l’on cherche, se préparer, se concentrer, et s’armer d’une trame pour éviter de s’égarer. Héloïse le sait bien, qui ne quitte plus sa liste de questions pour chaque grand-mère interviewée afin de tirer le fil de la mémoire au-delà de souvenirs trop souvent évoqués. Cependant aussi sincère soit-il, chaque récit reste un conte. L’Espèce fabulatrice dont parlait Nancy Huston ne peut s’empêcher de se réinventer.
L’attention, la compréhension, sont donc essentielles à la bonne restitution d’un témoignage et à son intégration pertinente dans un discours. Il reste ensuite à trouver un langage adapté. Cela peut se faire par la référence à une culture commune – la pop culture, par exemple, dans l’univers anglo-saxon, incarnée dans un film comme Pulp Fiction –, terreau de l’imaginaire collectif.
C’est munis de ces éclairages que nous avons repris le cours de notre vendredi. Non sans quelques images surprenantes à l’esprit. Pour ma part, j’ai vu distinctement une lavandière nantaise de 90 ans haranguer un groupe d’enfants de son quartier au cri de « Vive la vieillesse libre ! » sous le regard médusé de John Travolta et au son du clairon. Et j’ai beau chercher, je ne vois toujours pas dans quel discours je pourrais bien l’intégrer. Mais peut-être auriez-vous quelques idées ?