Pendant longtemps, l’écriture a été pour Anne un « truc de vieux messieurs aux cheveux blancs ». Pendant longtemps, Anne ne s’est pas vraiment sentie légitime dans l’art d’écrire. Oui, mais tout cela c’était avant. Avant qu’Anne ne devienne « plume ». Avant ce coup de fil de juin où, interrompant ses corrections de copies de bac, une voix a prononcé des mots qui ont fait basculer son destin : « Anne, la maire de Nantes recherche une plume. Je voulais juste que tu le saches… ».
Rembobinage.
Hypokhâgne littéraire. Sciences-Po Rennes. Puis l’agrégation d’histoire. Anne devient prof d’histoire-géographie en lycée par vocation, par amour de la transmission, et parce qu’elle veut se « confronter au réel » et lui donner du sens. Pendant dix ans, Anne enseigne avec passion, créativité et un dévouement sans égal. Et l’histoire aurait pu s’arrêter là, si les dieux de l’écriture et du discours n’en n’avaient décidé autrement. Anne est appelée, choisie et finalement investie du nouveau titre de « conseillère discours auprès du maire de Nantes » à l’été 2017. Un changement de cap qu’Anne accueille avec un immense enthousiasme : l’historienne en elle se réjouit d’être plongée au cœur des décisions politiques et de passer du monde des « faits » à celui des « actes » et du présent bouillonnant.
L’aventure du « speechwriting » commence. Anne se retrousse les manches et taille sa plume. Une plume qui n’a pas peur du mot-compliqué, ni du mot-joli. Une plume qui aime raconter des histoires de vie et qui ne recule pas devant l’émotion et la poésie lorsqu’elles apportent de la chair au discours. Une plume qui écrit « avec ses tripes », et à qui l’on a pu parfois reprocher son lyrisme : « il faut trouver le bon curseur entre pudeur et exubérance ». Une plume qui redonne aussi toute sa place à la ponctuation et notamment au point-virgule, son petit préféré.
Pour la guider, Anne a ses maîtres, Emmanuel Carrère, Delphine de Vigan, Antoine Bello entre autres. Des écrivains qu’elle admire infiniment pour leur capacité à recréer des atmosphères et de l’émotion avec peu de mots. Mais de nouveaux auteurs entrent régulièrement dans son Panthéon : elle en parle dans ses « Livres Suspendus », un compte où cette « bookstagrammeuse » de talent partage régulièrement ses impressions de lecture.
Anne s’habitue petit à petit à ses nouveaux habits de plume politique. Elle comprend que pour réussir dans cette fonction il faut avant tout « beaucoup aimer les gens, être généreux de son savoir et de ses mots ». L’envie de transmettre et d’aider est toujours là, comme un fil d’Ariane. Elle reconnaît aussi que, pour être une bonne plume, la discipline est un allié précieux, même si ce n’est pas toujours facile : « j’ai du mal à écrire à l’avance, j’ai besoin de sentir le contexte. Quand j’étais prof, c’était pareil, il fallait d’abord que je rencontre mes classes pour pouvoir créer mes cours ». La sensibilité, l’empathie, toujours, chevillées au corps.
Anne écrit. Elle écrit vite, de plus en plus vite, car l’agenda politique ne lui laisse plus le choix. A Nantes, les discours s’enchaînent et les mots doivent jaillir tous les jours, coûte que coûte. La plume prend des airs de machine à écrire, et la pensée n’a parfois plus le temps de « décanter ». D’autant qu’Anne ne tombe jamais dans la facilité : pas question de se reposer sur ses lauriers et de réutiliser deux fois les mêmes discours, « le contexte change, l’auditoire change, il faut savoir rester en mouvement ».
Sauf que parfois, au beau milieu de ce tourbillon de mots, d’événements et de commandes, Anne sèche. C’est la page blanche… cet ennemi sournois que toute plume apprend à apprivoiser. Dans ces moments-là, il suffit pour Anne de ne pas se laisser impressionner : « J’écris la date, le titre, le lieu, la première phrase. J’amorce la pompe, je fais mes gammes, ça me donne de l’élan ». Ou bien elle s’absorbe dans la lecture d’articles pour nourrir sa réflexion. Et quand les mots ne viennent décidément pas, Anne passe aux fourneaux et fait des gâteaux: en coupant les fruits, en malaxant la pâte, le processus créatif se met en marche. Il n’y a alors plus qu’à s’asseoir à son bureau, ouvrir son ordinateur et se laisser porter par l’inspiration.
C’est le moment qu’Anne préfère. Cet instant de grâce où la pensée s’ordonne, où soudain la synthèse s’opère, où tous les éléments épars qu’elle a récoltés – chiffres, histoires, anecdotes, mots, ambiances… – s’agrègent au sein d’une sorte de carte mentale : « je considère mon travail accompli quand je parviens à restituer un tableau plus grand que la matière qui m’a été transmise ». Car l’écriture est création, addition, amplification. Elle est aussi transmission, car les mots voyagent de l’écrit à l’esprit : « ce que j’aime dans l’écriture, c’est son caractère performatif ». Ecrire pour agir. Ecrire pour faire agir. Dans son combat pour rendre le monde meilleur, Anne a fait le choix des armes : les mots.
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