Glissant du printemps à l’été, l’année 2021 va connaître des élections départementales et régionales. Sans doute, convient-il de former le vœu que le langage usité s’éloigne des métaphores de combat. Pour revisiter une émission de feu l’ORTF, l ’observateur risque de se surprendre à visionner « voir, revoir…ou revoir encore » ! De grâce, limitons les phénomènes d’usure, de lassitude et de trop souvent servi. Le lecteur voudra bien me pardonner une remarque sur ma personne mais, pour éclairer le décodage de cet article, je précise d’où je parle. Positionné au centre-droit, j’ai formé des brassées d’élus, assuré et piloté des moments électoraux depuis…suffisamment longtemps.
Le sombre épisode de la COVID est marqué par l’emploi continu, voire surabondant, de l’incantation martiale. Maintenant que l’ennemi pandémique est si copieusement nommé, je suggère de limiter les apologues bellicistes durant les mois électoraux à venir. Le public, électeurs inclus, en serait sûrement reconnaissant !
Troupiers et tambours
« Faire campagne », c’est déjà aller puiser dans la dialectique militaire. Pour bouter hors des urnes sacrées les ennemis révélés, des troupes d’élite de candidats se doivent d’être prêtes à la lutte (finale ou locale). À ce moment de la présentation des goumiers vernaculaires dans l’espace public, le standard consiste à utiliser, au choix, une des deux formules surannées : « en ordre de marche » ou, pire, « en ordre de bataille ». J’ai toujours estimé qu’il s’agissait là, de la part de nos condottiere, d’une forme singulière d’acte manqué. Le plus souvent, les négociations pour la désignation des impétrants ont été si âpres que les chefs de file veulent s’auto persuader que chacun est à sa place, affermi d’une motivation sans faille pour la mère des batailles. Hélas, les rancœurs demeurent à vif entre les « malgré-nous » qui auraient voulu une place meilleure et les éjectés qui ne rêvent que d’exercer leur pouvoir de nuisance. « La guerre est l’art de duper », affirmait Sun Tzu, 500 ans avant Jésus Christ.
Faisant suite aux roulements de tambour de l’exposition médiatique des élus putatifs, vient alors le temps des snipers. Il s’agit de quelques militants, un terme si proche de « militaires », aguerris, qui scrutent en continu tous les supports d’information ; négligeant leur vie privée (s’ils en ont une !), ils épluchent les journaux locaux dès 7 heures et naviguent entoilés jusques à minuit. Leur dessein est de repérer le moindre faux pas de l’adversaire ou de décontextualiser une phrase afin de pilonner les positions ennemies. Cette guéguerre des escarmouches en forme de communiqués de presse entretient la flamme des bataillons de sympathisants même si elle n’a aucun impact auprès des légions de votants…triste destin que celui des cartouches mal ajustées à la taille du calibre du canon !
À ce stade, le lecteur averti aura dès lors pointé que trop de carnets de campagne électorale sont écrits par des Tolstoï aux petits pieds, au langage de « Guerre épais » !
Chaise haute ou Table ronde
René RÉMOND, dans son indépassable ouvrage, « Les droites en France », établit une césure entre les Orléanistes et les Bonapartistes. D’option libérale, les Orléanistes perdurent mais sont disséminés dans une noria de sous-familles politiques. Les Bonapartistes, actuellement majoritairement Républicains, entretiennent le mythe du chef, autoritaire et solitaire mais comprenant si bien le peuple. De cette approche verticaliste de l’exercice du pouvoir, vient probablement le goût immodéré pour l’attitude « fana mili ». Anatole FRANCE, dans « Les Dieux ont soif », certainement le meilleur roman sur la Révolution française, écrit : « C’est la peur plus que le courage qui enfante les héros ». Hélas pour la droite de gouvernement, le champ de la peur est abondamment labouré par les extrémistes de tout crin.
Régnant sur sa chaise haute, entouré d’une camarilla zélée, le suprême leader tant espéré tarde à pointer le bout de sa dague. Correspond-il toutefois au goût de l’époque ? Dans les communautés naturelles, les usages changent. Le père de famille, quand il existe, n’a plus guère d’autorité ; le président d’association doit rendre des comptes en permanence ; le dirigeant d’entreprise est cerné par le Conseil de surveillance et le Comité des rémunérations. Dans la vie publique, le chef tout puissant s’avance désormais en rase campagne : il peut vite passer de conduire à se faire éconduire, de l’écharpe à finir écharpé ! La Table ronde marque son grand retour, symbole qu’elle se voulait de l’égalité entre les chevaliers.
Se place ici une remarque anecdotique qui n’a jamais cessé d’étonner. Après un début de campagne tout en rodomontades belliqueuses, survient parfois le désir de déboussoler l’électeur. Sans prévenir, on quitte l’escalade des combats, pour ambitionner le rassemblement. Il n’est que temps, alors, de ressortir une autre formule émoussée : « Nous ne serons pas élus PAR tout le monde, mais POUR tout le monde ». L’absence de continuité est le signe indéniable des tactiques perdantes…
Pour échapper à une posture aporétique, les pygmalions du théâtre électoral trouveront secours chez Anton TCHEKHOV : « Il ne faut pas monter sur scène avec un fusil si personne n’a l’intention de s’en servir ».
Orignal original
Incontestablement, un élan vital sera le bienvenu pour assurer la promotion des Spitzenkandidats et de leurs programmes. Sortir des standards nécessite de la créativité pour trouver des idées…et du courage pour les appliquer. Se centrer plus encore sur les territoires, leur typicité et leur potentiel est une piste qui mérite attention.
Certainement, l’heureuse et inexorable montée des femmes en responsabilité au sein de l’appareil politique devrait impulser l’exploration d’un renouveau du registre épidictique ; l’épopée est bien un nom…féminin.
* pour orner le propos, les mots militaires sont écrits en italique