Ils sont 481 hommes et elles sont seulement neuf femmes. Le déséquilibre est frappant devant cette Assemblée nationale du 26 novembre 1974. Ce jour-là, à la tribune, une femme, Simone Veil, qui a la lourde tâche de présenter le projet de réforme de la législation sur l’interruption volontaire de grossesse. Ce texte, actuellement mis à l’honneur aux Archives nationales, à Paris, constitue la pierre angulaire de la loi du droit à l’avortement en France. Loi modifiée depuis et constitutionnalisée le 4 mars dernier.
« Je défendrai un projet longuement réfléchi », annonce Simone Veil pleinement consciente de l’urgence de « mettre fin à une situation de désordre et d’injustice et d’apporter une solution mesurée et humaine à un des problèmes les plus difficiles de notre temps ». Chaque mot pensé trouve sa place dans cet exorde clair et circonscrit. « Désordre » et « injustice »” constituent deux arguments de taille, s’adressant à la fois à la majorité parlementaire de droite et à l’opposition. L’autorité de l’État est mise en cause. La loi répressive « ouvertement bafouée » se trouve peu appliquée, car difficilement applicable. Tout le montre, à commencer par la réalité des 300 000 femmes en détresse qui, chaque année, mettent fin à leur grossesse clandestinement – avec tous les risques que cela comporte. À cela, s’ajoute le fait que certaines d’entre elles ont les moyens de se faire avorter « sans encourir aucun risque ni aucune pénalité ».
À la tribune, en dépeignant cette situation « déplorable et dramatique », la femme d’État, au chignon impeccable, en impose par sa rigueur et son sang-froid. Simone Veil ne faillit en rien pour convaincre son auditoire. Il s’agit d’une « Assemblée presque exclusivement composée d’hommes », souligne-t-elle en s’excusant de leur partager « une conviction de femme » qu’il leur faudra pourtant entendre : « Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame, cela restera toujours un drame. » C’est dit, dépénaliser l’IVG ne banalisera pas l’acte pour autant. La ministre de la Santé passe au crible toutes les objections qui ne manqueront pas de faire obstacle à son projet. Elle n’élude en rien la gravité et les enjeux de la loi qu’elle s’apprête à présenter, tout en ménageant ses adversaires. Un combat difficile dont la victoire dépend aussi de l’art du compromis.
S’ensuivent alors 25 heures d’un débat acharné et d’une violence inédite par certains propos, pour ne pas dire insultes. La suite, nous la connaissons, en janvier 1975, la loi qui dépénalise l’avortement est adoptée provisoirement pour cinq ans. Loin des dissensions quelles qu’elles soient, la loi Veil fait date et même si elle ne constitue pas un droit à l’avortement, elle reste à jamais une avancée pour les droits des femmes. Avancée qui, cinquante ans plus tard, nous mène à la constitutionnalisation de l’IVG. La France fait d’ailleurs figure d’exemple, reste maintenant à espérer qu’elle sera suivie par de nombreux autres pays.
Céline Roman pour La Guilde des Plumes